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Photographies
Souffles d'un jour d'été
En collaboration avec Olivier Belon
Mise en page Loïc Boyer

Texte de Robert Musil, 1943 in Robert Musil, L’homme sans qualités. T.2, Paris, Seuil, coll. Points, 1982, p.534
Ensemble de 4 photographies, tirages lambda contrecollés sur aluminium, 65 x 53 cm et 97 x 87 cm

Musil n’a pas terminé L’homme sans qualités ; à la fin de sa vie, il composait des ébauches qui ont été rassemblées pour la publication selon une logique hypothétique. L’ensemble des quatre images redit par le vide de la mise en page l’inachèvement de l’ouvrage.

Dernier fragment qu’il a écrit, dernière image qu’il a créée, Souffles d’un jour d’été donne son titre à cet ensemble de photographies et s’installe comme une concrétion contre les images. Musil y exprime une série de vacillations au cœur d’un temps continu, il décrit une saison paradoxale, un été en hiver, un été qui concentre ici la substance de toutes les autres saisons, et rend sensible une temporalité hésitante en associant des logiques divergentes. Dissonances, paradoxes et disjonctions se déploient dans un hors temps vacillant en faisant jaillir des émotions fragiles affranchies de la rationalité du quotidien.

Les quatre photographies rejouent l’hiver en été, désignent cette contraction temporelle et la traduisent dans le portrait par l’enlacement de la jeune fille et de la vieille femme qui fait écho à la présence conjointe des feuilles mortes et des feuilles vertes de la plante. Les saisons s’écoulent en miroir entre figures et paysage en réduction, elles condensent les contraires, redoublant le principe même de la photographie. L’isotopie se poursuit dans la complémentarité des vues et l’allégorie du miroir, exprimée dans l’enchevêtrement des deux personnages du portrait qui portent les mêmes vêtements rouges et adoptent une posture identique. Le portrait et le texte mêlés rappellent la combinaison propre aux enluminures d’un livre d’heures médiéval. L’éclat de lumière renvoie à l’étymologie du verbe “enluminer” : rendre lumineux, tandis que la couleur dominante du fond, couleur de la feuille morte, se situe entre l’or et la pourriture.

Le jardin devient le théâtre d’une disconvenance éphémère qui révèle l’éblouissement du regard.
Yveline Loiseur et Olivier Belon

Texte de Robert Musil
« Tel un fleuve silencieux, une neige de fleurs sans éclat tombant d’un groupe d’arbres en train de se faner flottait dans le soleil ; le souffle qui la portait était si doux qu’aucune feuille ne bougeait, nulle ombre qui en descendît sur le vert des pelouses : celui-ci semblait s’assombrir de l’intérieur comme un regard. Tendrement et généreusement vêtus de feuilles par le jeune été, les arbres et les buissons qui se dressaient de chaque côté ou composaient l’arrière-plan du jardin semblaient des spectateurs déconcertés qui eussent participé, surpris et figés dans leur costume joyeux, à ces funérailles et à cette fête de la nature. Le printemps et l’automne, le langage et le silence de la nature, la magie de la vie et de la mort se mêlaient dans cette image. Les cœurs comme arrêtés, comme retirés de la poitrine semblaient s’associer dans l’air en silencieux convoi. »
Robert Musil, L’homme sans qualités. T.2, Paris, Seuil, coll. Points, 1982, p.534

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